«Maman, le monstre me fait peur!» C’est ainsi que le petit Isaac, trois ans, a alerté sa mère alors qu’il regardait Pat’Patrouille [ndlr: un dessin animé mettant en scène des chiens sauveteurs] sur l’iPad familial. Loin d’être un épisode classique, des toutous y mourraient dans des accidents de voiture et une chienne sautait d’un toit, hypnotisée. Cette scène relatée par le «New York Times» dans son édition du 4 novembre dernier levait le voile sur une faille de l’application YouTube Kids, lancée en 2015 aux USA. Des vidéos malveillantes avaient craqué les algorithmes de l’application, bombardant les petits de contenus inadaptés. De ceux qui ont traumatisé le petit Isaac.
Porte d’entrée du web
Disponible uniquement aux USA, cette application était pourtant censée être plus sécurisée pour les bambins – et leurs parents – que son grand frère YouTube. Raté. Même si ces vidéos signalées comme inappropriées ne représentent «que 0,05% des millions de celles vues en un mois sur l’application YouTube Kids, selon Malik Ducard, responsable du contenu famille et apprentissage pour l’appli, c’est déjà trop».
En Suisse, pas de YouTube Kids. Mais une utilisation massive de YouTube chez les 8-9 ans déjà. «C’est leur porte d’entrée sur le web, ils l’utilisent comme moteur de recherche», explique Tiziana Bellucci, directrice générale de l’association Action Innocence Suisse. Et parmi les quatre cents heures de contenu téléchargé sur YouTube chaque minute, les risques de mauvaises surprises sont quasi inévitables.
«Quand on demande à un enfant de huit ans ce que ça lui fait de voir une image choquante, il répond qu’il a mal au ventre, que son cœur s’emballe, qu’il n’arrive plus à manger ou qu’il ne peut plus s’endormir», continue Tiziana Bellucci.
Pas de risque zéro
En parents attentifs, on peut bien essayer de bloquer le mode recherche, de rayer certains mots desdites recherches ou d’activer un mode parental ultrapointu, le risque zéro n’existe pas. Mais si les parents sont très préoccupés de protéger leur progéniture face aux images violentes ou pornographiques, un petit peut aussi être traumatisé par une hyène ou une sorcière dans un Walt Disney. «On ne peut pas tout barricader. Mais il faut prendre le temps de regarder avec l’enfant son dessin animé, et de lui demander ce qui lui fait peur. Plus vite on en parle et on pose les règles pour l’utilisation de la tablette, mieux le contenu sera gérable.»
Le virus de la tablette se contracte chez les 2-3 ans déjà. Au grand dam de parents qui se disent dépassés par la technologie, ou qui s’en remettent à des parades – inefficaces – comme YouTube Kids. Blinder le contrôle parental pour un surf très contrôlé jusqu’à douze ans minimum. Discuter avec l’enfant de ce qu’il regarde pour décoder les images et désamorcer les peurs. Autant de conseils qui font leur entrée jusque dans les jardins d’enfants, à Genève via Action Innocence, et dans les premiers degrés d’école primaire vaudoise, dans des cours d’éducation aux médias. Ou comment ouvrir le dialogue et anticiper pour limiter les dégâts face à une utilisation croissante et inévitable des écrans.